Histoires de mots - 2 mars 2015 - 2 min

Sujets de plaisanterie

Allégeons le propos rigoureux de janvier dernier en présentant pour le printemps qui arrive trois noms désignant des propos légers : marivaudage, turlupinade et lapalissade. Sous ces noms se cachent trois personnages : deux artistes et un militaire. Alors que les deux premiers ne seraient pas surpris des noms badins qu’ils ont inspirés, le dernier serait stupéfait d’apprendre qu’on retint de lui non pas sa bravoure militaire, mais un type de propos vide dont il n’est nullement l’auteur. Passons donc sans tarder aux choses si rieuses !

marivaudage

Marivaux a été, à partir de 1717, le pseudonyme de Pierre Carlet de Chamblain (1688-1763), un écrivain français du XVIIIe siècle, surtout connu pour ses pièces de théâtre. L’origine normande de l’auteur expliquerait le choix de ce nom de famille, courant en Normandie, tiré du nom de plusieurs hameaux de cette région. Le sens original de la plupart de ceux-ci est ‘vallée de Marie’, qui se disait Mariae vallis en latin.

Passé maitre dans l’art de décrire les relations amoureuses, Marivaux aurait forgé l’expression tomber amoureux à partir de tomber malade, parce qu’il considérait l’amour comme un sentiment imprévisible qui apparait et disparait comme une maladie. Par ailleurs, le style raffiné de ce sondeur des cœurs est à l’origine du verbe marivauder, créé de son vivant. Au début, il signifiait ‘s’exprimer avec raffinement’. Puis, au XIXe siècle, la notion de badinage s’y ajouta. Le dérivé marivaudage a suivi la même évolution. Par contre, l’adjectif marivaudesque ‘relatif au style raffiné de Marivaux’, actuellement inusité, a gardé son sens primitif.

turlupinade

Il existait en moyen français un nom commun turlupin, dont le sens tournait autour de ‘personne manquant de respect’. Il désignait ainsi une personne malicieuse, un membre d’une secte hérétique qu’on accusait de se moquer de la religion ou bien une personne qui simule une grande dévotion. L’origine du mot est incertaine, quoiqu’on puisse voir un lien avec les suites de syllabes dénuées de sens du genre turluron, turlurette ou turlututu évoquant la gaité ou l’insouciance dans un refrain.

Turlupin gagna en popularité quand l’acteur de théâtre français Henri Le Grand, qui jouait à Paris au début du XVIIe siècle, en fit son pseudonyme. Turlupin incarnait un mauvais plaisant portant un mantelet, un pantalon rayé, un chapeau à larges bords ainsi que de longues moustaches et une barbe hirsute. On appliqua peu après le nom de ce personnage à tout mauvais plaisant. À la même époque, on disait de ce genre de personne qu’elle « turlupinait » ou qu’elle faisait des « turlupinades ». À la fin du XVIIIe siècle, le verbe a pris le sens de ‘causer du tracas à’. Seul ce dernier emploi est vraiment courant parmi les mots de la famille de turlupin.

lapalissade

Jacques II de Chabannes, dit Jacques de La Palice (ou de La Palisse), était un militaire noble français qui participa aux guerres d’Italie à la fin du XVe siècle et au début du siècle suivant. Le nom La Palice est en réalité le nom du château de sa famille, situé dans la commune du même nom. Il s’agit d’un mot régional désignant une clôture, apparenté au nom français palissade.

Contrairement à ce qu’on serait porté à croire, on n’attribue à La Palice aucune lapalissade. Sa mort en entraina néanmoins une. Sa tombe aurait porté l’épitaphe « Ci-gît Monsieur de La Palice, S’il n’était mort, Il ferait encore envie » (autrement dit : Il ferait encore des envieux). Or, étant donné que, dans certains contextes, les s de l’époque ressemblaient aux f actuels, l’épitaphe aurait été réinterprétée en « … il serait encore en vie », ce qui inspira une chanson militaire sur ce personnage : « … Un quart d’heure avant sa mort, il était encore en vie ». Enfin, au XVIIe siècle, l’académicien Bernard de La Monnoye s’amusa de cette vérité évidente en composant un poème sur les exploits de Monsieur de La Palice en le truffant de truismes. Plus récemment, on qualifia ces derniers du nom de vérité de La Palisse ou lapalissade.

Cet article a été concocté par
les linguistes d’Antidote

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