Points de langue - 5 juillet 2004 - 2 min

La pseudoconjonction et/ou

On rencontre de plus en plus cette « conjonction » et/ou dans des phrases comme :

On recherche un traducteur qui connaisse le danois et/ou le norvégien.

Phrase que l’on pourrait « traduire » en bon français :

On recherche un traducteur qui connaisse le danois ou le norvégien.

Le et/ou est redondant par rapport au simple ou. Ces deux phrases sont synonymes et signifient que le traducteur recherché peut connaitre une seule de ces deux langues ou les deux à la fois. La conjonction ou est en effet par défaut inclusive : elle inclut l’addition (les deux possibilités à la fois) en plus de l’alternative (une seule des deux possibilités).

Ce caractère implicitement inclusif de ou est également vrai pour les équivalents de cette conjonction dans les autres langues, comme or en anglais. De même, en informatique, l’opérateur logique OU possède cette valeur inclusive.

C’est lorsque ou prend une valeur exclusive (l’addition des deux possibilités est exclue) que le français et les autres langues précisent ce fait par des périphrases si le contexte ne suffit pas. Par exemple, soit la phrase :

Le menu du jour propose du veau ou de l’agneau.

On pourrait considérer que le contexte d’un menu de restaurant est suffisant pour déterminer le caractère exclusif de ce ou. Mais si l’on veut lever toute ambigüité, l’on pourra recourir à ces tournures :

Le menu du jour propose du veau ou bien de l’agneau.
Le menu du jour propose soit du veau, soit de l’agneau.

De même, en anglais, on précisera ce caractère exclusif avec la tournure either… or. En informatique, on utilise l’opérateur logique OUX (en anglais XOR).

On a vu que la conjonction ou a plutôt une valeur inclusive par défaut, mais si l’on tient malgré tout à expliciter ce caractère inclusif, on le fera avec une périphrase :

On recherche un traducteur qui connaisse le danois ou le norvégien ou les deux.
On recherche un traducteur qui connaisse le danois ou le norvégien, éventuellement les deux.

Par rapport à ces tournures, le et/ou peut paraitre d’une séduisante concision, mais celle-ci allonge en fait le temps de lecture, car elle nécessite un effort de déchiffrement du sens global de la phrase. Le caractère peu intuitif du et/ou se remarque aussi par le fait qu’il n’est pratiquement jamais spontanément utilisé à l’oral.

N’oublions pas non plus que la barre oblique signifie elle-même « ou » et que nous avons en fait affaire, avec et/ou, à une triple conjonction : « et ou ou » (joli hiatus). Si l’on pousse cette logique jusqu’à l’absurde, il faudrait remplacer ces deux ou consécutifs chacun par un et/ou. On n’en sort plus… Il n’est pas étonnant que des générations d’écrivains aient su se passer d’une telle béquille.

Mais alors, d’où vient ce et/ou ? Ce serait un calque de la forme anglaise and/or, qui serait d’abord apparue au xixe siècle dans des textes de la langue juridique, friande de formules redondantes. Elle se serait ensuite répandue dans la langue technique. Malgré sa prolifération, ce and/or demeure critiqué par les grammaires anglaises, pour les mêmes raisons que le et/ou l’est par les grammaires françaises.

Un effet insidieux à long terme de la prolifération du et/ou est qu’elle finit par faire croire à tort que la simple conjonction ou aurait donc une valeur exclusive par défaut. C’est la porte ouverte à bien des malentendus.

Cet article a été concocté par
les linguistes d’Antidote

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