Histoires de mots - 7 mars 2016 - 2 min

Adultes trompeurs

Les apparences sont parfois trompeuses. Ainsi, si les personnes adultères aiment littéralement les rapprochements entre adultes, il n’y a aucun rapprochement étymologique à faire entre adultère et adulte. Inversement, si tout semble opposer adultes et adolescents, les mots adulte et adolescent se rejoignent dans leur étymologie. Nous allons démêler cet écheveau. Mais avant de débuter, une mise en garde : cette histoire de mots doit être lue sous la supervision des parents, car, si leurs adolescents l’interprètent littéralement, ils pourraient y trouver prétexte à vider le réfrigérateur.

adolescent

Si on a parfois l’impression que les adolescents passent leur temps à s’alimenter, on ne sera pas étonné d’apprendre que les mots adolescent et alimenter sont étymologiquement liés. Adolescent constitue en fait un emprunt au latin adolescens (forme fléchie : adolescent-), issu du participe présent de adolescere ‘grandir’, qui signifiait littéralement ‘qui est en train de grandir’. Adolescens s’oppose en quelque sorte à adultus ‘qui a fini de grandir’ (à l’origine de adulte). Le verbe adolescere a été construit par l’adjonction des affixes ad- ‘complétion’ et -esc- ‘processus’ à alere ‘nourrir’, rejoignant en cela aliment (alimentum) et haut (altus), qui en descendent également.

La Rome antique utilisait les mots adolescens et adultus de façon étrange. En effet, lorsqu’on parlait du sexe masculin, adolescens désignait un jeune homme de 17 à 30 ans alors qu’adultus se rapportait à un individu plus jeune, plus précisément à un enfant prépubère ; par contre, lorsqu’on faisait référence au sexe féminin, l’étymologie était respectée, les tranches d’âge désignées par adolescens et adulta correspondant peu ou prou à celles de notre français. On peut donc inférer que les mots français modernes adolescent et adulte ont été empruntés à l’acception féminine du mot latin, à moins que l’on se soit inspiré directement des participes présent et passé du verbe adolescere.

Emprunté au latin classique dès le Moyen Âge, adolescent était généralement employé par plaisanterie en français classique, reprenant le sens ‘jeune homme’ du latin classique. Son acception « étymologique » de ‘personne qui a atteint la puberté’ débute au XIXe siècle, ce qui coïncide avec l’émergence dans la société de la notion d’adolescence en tant qu’âge déterminé de la vie situé entre l’enfance et l’âge adulte. D’abord réservé au langage scientifique, le sens moderne a effacé depuis le sens traditionnel et est entré dans la langue courante. À cause de sa fréquence grandissante, on rencontre de plus en plus l’abréviation familière ado depuis les années 1970.

adulte

Malgré leur grande similitude, adulte et adultère ne sont pas apparentés ; par contre, adulte est à rapprocher de adolescent. En effet, comme on l’a vu, adulte remonte à l’adjectif latin adultus ‘qui a fini de grandir’, qui s’appliquait à un être vivant pour exprimer qu’il avait terminé sa croissance. Tiré du participe passé de adolescere (ou adulescere) ‘grandir’, il s’oppose en quelque sorte à adolescens, issu de son participe présent et à l’origine de adolescent, signifiant littéralement ‘qui est en train de grandir’. Le radical adol- du verbe avait été construit par la préfixation de ad- ‘complétion’ à alere ‘nourrir’, rejoignant aliment (alimentum) et haut (altus), qui en descendent également. Contrairement à adolescensadultus n’était pas employé comme nom. En outre, tandis que l’acception féminine respectait l’étymologie, l’acception masculine se rapportait contradictoirement à l’âge prépubère, celle de adolescens étant liée au début de l’âge adulte (17 à 30 ans).

Emprunté au latin classique au XVIe siècle, l’adjectif adulte reprend le sens du latin classique, soit ‘adolescent’, comme en fait foi la cooccurrence enfants adultes du XVIIIe siècle, qui serait perçue comme une contradiction pour les francophones d’aujourd’hui. Le nom adulte, de son côté, est attesté surtout dans le domaine religieux à partir du XVIe siècle et n’entre véritablement dans la langue courante qu’au cours du XIXe siècle, où il acquiert graduellement son sens « étymologique » de ‘personne parvenue à sa maturité’.

adultère

Bien que l’adultère se pratique entre adultes consentants (sauf pour le conjoint trompé, naturellement…), les mots adultère et adulte ont des origines bien distinctes : alors que adulte est apparenté à alimentadultère est plutôt relié à autre. En fait, adultère a été emprunté à deux mots latins, adulter ‘(personne) qui a commis l’adultère’ et adulterium ‘délit d’adultère’, tous deux dérivés de adulterare ‘commettre l’adultère’. Ce verbe latin se décompose en ad-, signifiant ici ‘rapprochement’, et alter, signifiant ‘autre’ ; donc littéralement, un adultère est une personne qui s’est « rapprochée » un peu trop près d’une « autre » personne que son conjoint…

Adultère a été emprunté au latin classique au XIIe siècle (adultereadulteire). Il élimine peu après son correspondant du fonds primitif, avoutre ‘personne qui a commis l’adultère’, ainsi que avulterie ‘délit d’adultère’.

Cet article a été concocté par
les linguistes d’Antidote

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