Histoires de mots - 4 mai 2020 - 5 min

Aux confins du confinement

La pandémie mondiale actuelle est devenue l’unique sujet des médias d’information. On ne parle que de confinement, d’isolement et de quarantaine. Nous resterons dans l’air du temps, mais en abordant un côté inusité de la situation : l’exploration des mots de ce champ sémantique jusqu’aux confins de leur histoire. Laissons donc cette histoire nous libérer de nos tracas quotidiens en nous faisant voyager jusqu’aux iles lointaines et en nous faisant humer au passage le parfum d’une fleur.

confins

En latin classique, une limite commune (de deux champs, de deux territoires…) se disait confinium. Ce nom avait été dérivé de l’adjectif confinis ‘qui est contigu’, dans lequel on reconnait le nom finis ‘limite’ (à l’origine de fin) et le préfixe con- ‘avec, ensemble’. Donc, littéralement, confinis signifiait ‘qui partage une limite’, c’est-à-dire ‘voisin’. Le français a tiré le nom pluriel confins du latin médiéval confines, une substantivation du pluriel de l’adjectif confinis, qui remplaçait le pluriel confinia de confinium. Connu depuis la fin du XIIIe siècle, son sens original était proche du sens latin, soit ‘territoire situé à la limite d’un autre’. Le sens moderne qui en est issu, ‘extrémité d’un territoire’, a gommé la notion de partage d’une limite pour se concentrer sur la limite elle-même. Depuis son édition de 1835, le Dictionnaire de l’Académie française consigne la locution aux confins de ‘dans la partie la plus éloignée d’un territoire’ (aux confins de la terre). On la rencontrera parfois plus tard au sens figuré (aux confins de ses connaissances).

confiner

Le verbe confiner, dérivé probablement de confins, apparait pour la première fois (avec la graphie confinner) au début du XIIIe siècle (le nom confins n’est toutefois attesté qu’après le verbe, soit parce qu’il manque d’attestations antérieures du nom, soit parce que le verbe a plutôt été formé directement à partir du nom latin confinium). Comme pour le sens moderne de confins, le premier sens du verbe, ‘enfermer’, concerne la limite elle-même, et non son partage. Le sens de confiner glissera vers ‘forcer à rester dans un lieu limité’ à la fin du XVe siècle, sens qui a connu un important essor dans le domaine médical en 2020, parallèlement à son parent, confinement (voir plus bas). On en tirera aussi un sens figuré (se confiner dans le silence, dans un rôle). L’acception transitive indirecte confiner à ‘être contigu’ (une région qui confine à l’Espagne) date aussi du XVe siècle ; elle reprend le sens du latin confinis ‘qui partage une limite’. Elle s’emploiera par la suite de façon figurée avec le sens de ‘appartenir presque au domaine de’ (cette règle confine à l’absurde). On rencontre également des emplois adjectivaux (confiné), surtout dans la locution air confiné ‘air insuffisamment renouvelé’, qui date des années 1880.

confinement

Si l’on excepte une attestation isolée au XVe siècle avec le sens ‘terrain délimité’, le nom confinement ‘action d’enfermer’ fait son entrée en français au XVIe siècle en tant que déverbal de confiner. Son sens se spécialisera dans plusieurs domaines. Ainsi, au XIXe siècle, on utilise le terme en tant que peine judiciaire, probablement sous l’influence de l’anglais américain. À part son emploi à la fin du XIXe siècle dans la locution confinement de l’air, correspondant à air confiné, confinement s’utilise dans le domaine scientifique à partir du milieu du XXe siècle pour décrire le fait d’isoler une substance ou une chose pour la soustraire à une influence extérieure ou parce qu’elle constitue un danger (enceinte de confinement d’un réacteur nucléaire). Enfin, dans le domaine médical, le terme désigne l’obligation pour une personne malade ou pour une partie de la population de rester à la maison afin de limiter la contagion (mesures de confinement). En lien avec ces sens scientifiques, on atteste aussi l’antonyme déconfinement à partir des années 1960 et le verbe qui en est dérivé, déconfiner, qui date des années 1980. Naturellement, la fréquence de ces mots dans leur emploi médico-social a monté en flèche lors de la pandémie de COVID-19 en 2020…

isolé

Si l’adjectif isolé évoque parfois une ile, ce n’est pas sans raison, car il remonte justement à un mot signifiant ‘ile’. Par contre, malgré une certaine ressemblance, son origine est distincte de la famille de seul (solitaire, solitude…). En fait, isolé a été emprunté à l’italien isolato, participe passé de isolare ‘construire séparément, comme une ile’. Le verbe italien avait été formé au XVIe siècle à partir du nom isola ‘ile’. Comme le français ile, l’italien isola résulte de l’évolution naturelle du latin classique insula, signifiant ‘ile’, mais aussi ‘maison isolée’ et ‘immeuble d’habitation’. Au XVIe siècle, isolé fait son entrée en français, d’abord dans le domaine de l’architecture, pour qualifier une construction indépendante (maison isolée). À la fin du XVIIe siècle, la notion de séparation s’accentue, donnant ‘solitaire’ pour les personnes (vieillard isolé) et, au XVIIIe siècle, ‘éloigné de toute habitation’ pour les choses inanimées (village isolé). Toujours au XVIIIe siècle apparaissent des emplois tournant autour du sens ‘séparé de choses de même nature’ (passage isolé, faits isolés), qui glissera parfois vers le sens ‘rare’ au XIXe siècle (ce n’est qu’un cas isolé). On note quelques nominalisations de isolé, dont celle de ‘soldat sans affectation’, aujourd’hui vieillie.

isoler

Le verbe isoler, du milieu du XVIIe siècle, est tiré soit de l’adjectif isolé, soit directement du verbe italien isolare. Sa première attestation signifie ‘donner la forme d’une ile (en parlant d’un cours d’eau qui sépare un terrain)’. Les attestations suivantes, de la fin du XVIIe siècle, appartiennent au domaine de l’architecture et signifient ‘séparer des autres constructions’ (isoler un château). À la même époque, on commence à utiliser le verbe à la forme pronominale (s’isoler) pour parler d’une personne qui se tient à l’écart des autres ; l’emploi transitif suivra un demi-siècle plus tard. Parallèlement à l’adjectif correspondant, on voit apparaitre au XVIIIe siècle le sens ‘séparer de choses de même nature’ (isoler un mot, une phrase). Le domaine scientifique s’enrichira également de plusieurs nouvelles acceptions. Ainsi, au milieu du XVIIIe siècle, isoler acquiert le sens de ‘empêcher un corps de conduire l’électricité’ (isoler un fil). Dans les années 1820, les sens ‘séparer (un élément chimique) de ce à quoi il est combiné’ (isoler le béryllium) et ‘mettre à l’écart pour éviter la contagion’ (isoler un malade) font à leur tour leur entrée. Les sens les plus récents sont ‘empêcher le froid ou la chaleur de traverser’ (isoler un mur), qui date du début du XXe siècle, et ‘insonoriser’, des années 1950 (isoler un local).

isolement

Le nom isolement a été formé à partir du verbe isoler par l’ajout du suffixe déverbal -ment. Bien que présent au début du XVIIIe siècle dans le sens de ‘distance entre deux éléments architecturaux non contigus’, il ne devient courant qu’à partir des années 1770 avec le sens ‘action de séparer des autres’ (isolement d’une personne). Parallèlement au verbe correspondant, isolement s’applique après le milieu du XVIIIe siècle à l’état d’un corps qui ne peut pas conduire l’électricité (isolement d’un fil) ainsi qu’à une mise à l’écart pour éviter la contagion (isolement d’un malade). Curieusement, cette dernière acception est antérieure à celle de isoler.

isolation

Le nom isolation a été formé, quant à lui, vers le milieu du XVIIIe siècle à partir du verbe isoler par l’ajout du suffixe déverbal -tion. Il possède d’abord le sens de ‘état d’une personne séparée des autres’, pris en charge de nos jours par isolement. Comme isolement, isolation est employé depuis le début du XIXe siècle dans le domaine de l’électricité, mais plutôt dans le sens de ‘action d’appliquer quelque chose sur une autre chose afin de l’empêcher de conduire l’électricité’ (isolation d’un fil). Le sens ‘action d’isoler du froid, du bruit’ fait son apparition vers le milieu du XXe siècle ; il provient probablement de l’anglais (insulation).

quarantaine

Le nom quarantaine a été construit au XIIe siècle sur le radical quarante (du latin quadra[gi]nta) par l’adjonction du suffixe -aine, qui sert à former des nombres approximatifs (vingtaine, trentaine…). Conformément à sa formation, quarantaine possédait dès le début son sens général de ‘groupe d’environ quarante’. Il prit très tôt le sens de ‘quarante jours’, aujourd’hui disparu, surtout pour parler des quarante jours du carême (la saincte quarantaine). Deux nouveaux sens émergent au XVIIe siècle : le premier se rapporte à la période d’isolement, originellement de quarante jours, imposée à des personnes ou à des animaux susceptibles d’être infectés par une maladie contagieuse (mettre en quarantaine) ; le second, à un âge situé entre quarante et quarante-neuf ans (être dans la quarantaine). La première acception a été empruntée au vénitien quarantena, qui l’utilisait déjà au XVIe siècle pour parler de l’isolement des navires provenant de pays ravagés par la peste.

La giroflée quarantaine (Matthiola incana), appelée aussi quarantaine, giroflée des jardins ou giroflée d’été, est une giroflée cultivée des régions méditerranéennes, qui pousse dans des milieux sableux ou rocheux. Bien que son épithète spécifique quarantaine provienne ultimement du numéral cardinal quarante, son ascendant immédiat n’est pas le nom quarantaine, mais plutôt le féminin de l’adjectif dialectal quarantain, qui signifie ‘à terme au bout de quarante jours’. L’appellation de cette plante est répertoriée depuis le XVIIIe siècle dans les ouvrages de botanique, souvent à la fois sous sa forme longue (giroflée quarantaine) et abrégée (quarantaine).

Cet article a été concocté par
les linguistes d’Antidote

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