Points de langue - 6 juin 2005 - 2 min

Donner un visage français aux smileys

Quiconque a le moindrement pratiqué le courrier électronique, les forums de discussion ou les salons de clavardage a déjà croisé ces figures composées d’une suite de caractères typographiques que l’on « dévisage » en penchant la tête à gauche. Elles ponctuent certaines phrases et sont censées traduire l’état d’esprit de leur rédacteur. Des exemples parmi les plus courants :

:-⁠) « Je plaisante ! » ou « Je suis content ! »
:-⁠( « Je suis contrarié ! »
;-⁠) clin d’œil

Les internautes en ont inventé des centaines de variantes facétieuses. On pourra en trouver des listes sur plusieurs sites Internet, comme celui-ci. Dans la pratique, seul un petit nombre est d’usage courant.

Les anglophones appellent un tel pictogramme smiley ou emoticon. Le premier terme signifie « (visage) souriant » et le deuxième est un mot-valise formé à partir de emotion (« émotion ») et icon (« icône »). Les francophones utilisent parfois ces termes tels quels, sans les traduire. Y aurait-il des équivalents français à préférer ?

On rencontre parfois souriard, souriant ou bonhomme sourire. L’inconvénient de ces traductions, qui est aussi l’inconvénient de smiley en anglais, est que les visages en question ne limitent pas leur expression au sourire, mais à toute la gamme des émotions, comme en fait foi la deuxième illustration ci-dessus.

Une autre solution serait de franciser le mot emoticon sous la forme émoticône, elle-même préférable à la forme bâtarde émoticon, qui peut donner lieu à des prononciations malsonnantes… Mais l’inconvénient des termes de cette famille est que, selon certains puristes, le mot icon ou icône devrait se limiter à une véritable image, comme 😊, et non à une suite de caractères typographiques distincts comme :-⁠). Cette distinction risque de s’estomper depuis que des logiciels de lecture peuvent automatiquement convertir celle-ci en celle-là.

Comme ces petits visages sont utilisés dans le contexte d’échanges familiers, plusieurs francophones ont puisé leur traduction parmi les nombreux synonymes familiers du mot « visage » : trombine, binette, trombinette, frimousse, etc.

  • Trombine
    Trombine semble assez fréquent dans ce sens chez les internautes européens.

  • Binette
    Binette est l’équivalent recommandé par l’Office québécois de la langue française, qui l’a proposé dès 1995, avec un certain succès, notamment au Québec. Le suffixe diminutif -⁠ette ne messied pas à ces figures de taille réduite. La finale -⁠nette pourrait aussi faire penser à Net, comme dans Internet. Quant aux lettres initiales, elles pourraient évoquer un autre terme informatique, binaire.

  • Trombinette
    Trombinette est plus rare, mais pourrait avoir l’avantage de réconcilier les partisans de trombine et ceux de binette

  • Frimousse
    Frimousse est l’équivalent adopté en 1999 en France par la Commission générale de terminologie et de néologie, qui précise que « frimousse doit être préféré à binette » sans expliquer pourquoi. Pour sa part, l’Office québécois de la langue française continue de défendre binette et critique ainsi le choix de l’organisme français : « en reprenant globalement l’idée véhiculée par le terme binette, ainsi que sa connotation et son niveau de langue, [frimousse] vient concurrencer inutilement ce dernier, favorablement accueilli par les locuteurs depuis 1995, à mesure qu’il a été connu. De plus, frimousse a plutôt le sens (restrictif) de « visage agréable d’un enfant, d’une personne jeune », ce qu’une binette n’est pas toujours. »

Bref, cette « guerre des frimousses » montre que plusieurs équivalents se font toujours concurrence pour traduire smiley. Auquel la fortune sourira-t-elle ?

Outre la question de la traduction, on pourrait poser la question de l’utilité de ces binettes. Dans des modes de communication qui se trouvent à mi-chemin entre la conversation et la correspondance écrite, elles peuvent remédier à l’absence du langage non verbal qui accompagne toute conversation « en chair et en os ». Cela dit, il est facile d’abuser du procédé et de tomber dans la lourde illustration d’émotions que les mots seuls devraient parvenir à exprimer. Après tout, des générations d’écrivains ont réussi à se passer des binettes, tout comme ils n’ont pas retenu les suggestions de nouveaux signes de ponctuation, comme le point d’ironie, proposé il y a plus d’un siècle et demeuré une curiosité. Les binettes seront d’autant plus efficaces qu’elles seront servies avec parcimonie. Principe dont on pourrait faire un proverbe :

Frimousse en excessivité émousse son expressivité.

Cet article a été concocté par
les linguistes d’Antidote

Essayez Antidote gratuitement!

Commencer maintenant
Aucun résultat trouvé