Histoires de mots - 3 novembre 2014 - 2 min

Éléments rétroactifs

Avec la clarté qui décline et les esprits de l’Halloween qui hantent les rues, nous accentuerons l’ambiance en traitant de substances aux lueurs spectrales. Il s’agit de l’uranium, l’élément radioactif par excellence, ainsi que du cobalt et du nickel, dont certains isotopes sont radioactifs. L’inquiétude montera sans doute d’un cran quand on apprendra que leurs appellations ont été inspirées, d’une part, d’un astre fantomatique, à peine visible à l’œil nu dans la nuit noire, Uranus, et, d’autre part, de la démonologie germanique. Nous vous invitons donc à rétrograder à pas de loup dans le monde mystérieux de leur étymologie.

uranium

L’oxyde d’uranium a été extrait de son minerai naturel, la pechblende, par le chimiste prussien Martin Heinrich Klaproth en 1789. Croyant avoir affaire à un nouvel élément chimique, il choisit le radical uran- pour le nommer. Il appuyait ainsi son collègue, l’astronome allemand Johann Elert Bode, qui suggérait le nom du dieu romain du Ciel, Uranus, pour désigner la planète nouvellement découverte par William Herschel. Selon Bode, étant donné que Jupiter est le fils de Saturne et que Saturne est le fils d’Uranus, il serait logique que les planètes correspondantes soient nommées en suivant le même ordre. L’ordre planétaire sera d’ailleurs respecté en 1940 quand les deux premiers éléments transuraniens (c’est-à-dire ceux dont le numéro atomique est supérieur à celui de l’uranium) seront baptisés neptunium et plutonium d’après le nom des planètes Neptune et Pluton.

Klaproth appela d’abord l’oxyde d’uranium uranite, puis se ravisa et choisit les termes urane et sa forme latinisée uranium. Les deux derniers termes furent synonymes jusqu’à ce que le chimiste français Eugène-Melchior Péligot isole l’élément inconnu de ce composé en 1841. Dès lors, le terme uranium fut choisi pour désigner seulement l’élément chimique en français, alors que son parent fut choisi par d’autres langues, comme l’allemand, le suédois, le polonais et le russe. En français, par contre, urane est désuet et a été remplacé par oxyde d’uranium.

cobalt, nickel

Dans les mines des pays germaniques, les démons avaient la fâcheuse habitude de métamorphoser le minerai précieux en cailloux sans valeur. Deux des mots pour désigner ces démons en allemand étaient Kobold (du moyen haut-allemand kobe ‘cabane’ et hold ‘lutin’) et Nickel (diminutif de Nikolaus ‘Nicolas’).

En 1526, inspiré par la mythologie germanique, l’alchimiste suisse Paracelse, de langue allemande, se sert pour la première fois du mot kobolt pour désigner le minerai de cobalt. La forme Kobalt apparait ensuite et passe au français sous la forme cobalt. En français, le mot ne désigne plus que l’élément chimique quand le chimiste suédois Georg Brandt isole en 1733 le métal contenu dans ce minerai.

Les mineurs allemands appelaient « démon du cuivre » (Kupfernickel) le minerai de nickel qui avait l’apparence du cuivre, mais qui n’en fournissait pas, comme s’il avait été ensorcelé par un démon. Ce mot, adapté en suédois sous la forme kopparnickel avec le sens de ‘minerai de la couleur du cuivre’, fut abrégé en 1754 en nickel par le chimiste suédois Axel Frederik Cronstedt (élève de Georg Brandt) lorsqu’il isola le métal brillant contenu dans ce minerai. Le mot fit son apparition en français une dizaine d’années plus tard.

L’aspect brillant du nickel est à la source d’un emploi adjectival signifiant ‘reluisant de propreté’ (La maison est nickel), qui s’est étendu à ‘parfait’ (Ton plan est nickel). Cet emploi n’est attesté que depuis le début du XXe siècle, mais connait un essor considérable depuis les années 1960.

Cet article a été concocté par
les linguistes d’Antidote

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