Histoires de mots - 6 janvier 2020 - 3 min

Fond de tarte

Les fêtes de fin d’année sont l’occasion de festoyer. Dans les cuisines, on s’affaire à confectionner divers mets de pâte feuilletée, tels que tourtières, tartes ou tourtes. Leurs recettes sont innombrables, mais on néglige souvent la plus importante, celle qui a abouti à leur appellation. Mettons-nous donc dès maintenant à nos chaudrons étymologiques pour dévoiler les ingrédients qui composent le fond de ces trois mets, pardon, de ces trois mots succulents à l’origine « tordue »…

tarte

Généralement de faible profondeur, la tarte se prépare en versant sur une abaisse divers ingrédients sucrés (fruits, crème, etc., quoique certaines tartes, comme la tarte aux poireaux et la tarte flambée, soient composées d’ingrédients salés). Elle est dépourvue d’abaisse sur le dessus, sauf au Québec.

Le nom tarte, apparenté à tourte, remonterait au latin tardif torta ‘pain rond’, dont le sens évolua en ‘gâteau, tourte’ en latin médiéval. Le vocalisme inattendu de tarte serait attribuable à l’influence du latin médiéval tartarum ‘lie, dépôt’. On peut supposer que l’analogie provient de la comparaison de la croute de la tarte avec celle du dépôt séché. Tartarum est un emprunt au grec tardif tartaron, lequel serait d’origine sémitique. Tarte est attesté en français dès le XIIIe siècle.

Tarte a commencé à être utilisé dans le sens de ‘gifle’ à la fin du XIXe siècle. Ce glissement de sens est analogue à celui subi par plusieurs autres noms d’aliments désignant un coup de poing (pain, pêche, châtaigne, marron). D’autre part, la composition informe ou désorganisée des ingrédients de la tarte serait à l’origine des sens ‘laid’ et ‘niais’ de tarte. La tarte évoque aussi la facilité, probablement plus pour sa facilité à être mangée que pour sa facilité de préparation… Dans les années 1950, on a ainsi vu apparaitre la locution familière C’est de la tarte !, plus courante dans son emploi négatif C’est pas de la tarte ! Elle est à mettre en parallèle avec les locutions synonymes C’est du gâteau ! ou C’est du tout cuit !, qui réfèrent aussi à des préparations culinaires. Enfin, la locution tarte à la crème, qui fait référence à une formule vide et prétentieuse par laquelle on prétend avoir réponse à tout, tire son origine de la comédie de Molière Critique de l’École des Femmes (1663), où elle est répétée une dizaine de fois hors propos.

tourte

Comme la tarte, la tourte est préparée en versant sur une abaisse divers ingrédients. Elle est par contre plus profonde, recouverte d’une abaisse, et les ingrédients sont le plus souvent salés. Courant en Europe, le mot tourte est inusité dans ce sens au Québec, où on emploie plutôt les noms tourtière, pâté (à la viande) et cipaille.

Tourte signifie dans certaines régions de la France ‘pain rond’, surtout au sud de la Loire. C’est ce sens que possédait son étymon torta en latin chrétien (qu’on retrouve dans l’expression torta panis ‘miche de pain’ de la Vulgate [Jérémie 37:20]). Torta est la forme féminine du participe passé tortus du latin classique torquere ‘tordre’. Littéralement, la tourte devrait donc être interprétée comme « la tordue », probablement pour évoquer la rondeur de ce genre de pain, comme si la pâte avait été courbée sur elle-même. Cette étymologie est à dissocier de celle de l’autre tourte, nom d’une espèce éteinte de pigeon voyageur.

Le français a acquis le sens actuel ‘tarte couverte salée’ dès le Moyen Âge. Il provient vraisemblablement d’une interférence avec le nom tarte. Parallèlement à tarte, tourte acquiert au XIXe siècle le sens de ‘niais’.

tourtière

Le nom tourtière a d’abord désigné un moule pour faire cuire les tourtes (au sens de ‘mets’). Il a été formé par l’ajout au nom tourte du suffixe -⁠ier au féminin (-⁠ière), signifiant ‘contenant’ (et qui a servi aussi à former salière et sucrier). Tourtière s’est appliqué par la suite à diverses préparations à pâte feuilletée cuites dans ce moule. Ainsi, en Gascogne, la tourtière désigne un gâteau constitué de nombreuses couches fines de pâte beurrée et sucrée, surmonté d’un feuilleté sucré. Dans l’ouest de la France, la tourtière se décline en divers types de tourtes à la viande. La recette populaire québécoise, composée de viande hachée (généralement de porc ou de bœuf) en est d’ailleurs issue. Notons toutefois que la tourtière du Lac-Saint-Jean, beaucoup plus épaisse, est composée de viande et de pommes de terre en cubes. Elle se rapproche en fait du cipaille (ou cipâte) des autres régions de l’est du Québec, de mêmes dimensions, mais comportant souvent des abaisses intermédiaires.

On a parfois expliqué l’origine du mot tourtière par l’acception ‘pigeon sauvage éteint d’Amérique du Nord’ de tourte. L’hypothèse est à écarter, parce que la France a connu la tourtière avant le Québec. L’acception archaïque ‘pigeon sauvage européen’ de tourte n’est guère plus satisfaisante, car la viande de pigeon ne semble pas avoir été un ingrédient courant des tourtières françaises.

Cet article a été concocté par
les linguistes d’Antidote

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