Points de langue - 7 avril 2014 - 6 min

Pour usage fiscal

En ce monde, disait Benjamin Franklin, rien n’est certain à part la mort et les impôts1. C’est avec une implacable et annuelle régularité que le fisc (mot d’ailleurs apparenté au verbe confisquer) se rappelle à la mémoire des mortels. Le retour de la saison de l’impôt sera l’occasion de « déclarer » quelques difficultés linguistiques d’ordre fiscal.

déclaration de revenus, déclaration d’impôt, *rapport d’impôt

Il existe quelques synonymes que l’on peut employer indifféremment pour désigner l’action par laquelle un contribuable déclare ses revenus et calcule l’impôt dû au fisc :

déclaration de(s) revenus
déclaration d’impôt(s)
déclaration d’impôt(s) sur le revenu
déclaration fiscale

Par extension, ces expressions désignent aussi le formulaire au moyen duquel on fait cette déclaration. Dans ce sens concret, on emploie aussi le terme feuille d’impôt en Europe.

On reproche parfois à l’expression déclaration d’impôt (plus rarement déclaration d’impôts) d’être moins juste que déclaration de revenus (forme privilégiée au Québec), mais elle est courante et correcte. En revanche, bien qu’on l’entende couramment au Québec, on évitera l’expression rapport d’impôt, calque de l’anglais (income) tax report ou (income) tax return :

*Il faut que je fasse mon rapport d’impôt.
Il faut que je remplisse/produise ma déclaration de revenus.

*reçu aux fins d’impôt

Pour désigner un reçu remis par une personne ou un organisme et attestant un don qui peut donner droit à une déduction fiscale, on se gardera d’employer la tournure reçu aux fins d’impôt, car la locution prépositive aux fins de doit en principe être suivie d’un nom exprimant une action. La tournure reçu pour fins d’impôt est en revanche acceptable. Ces tournures québécoises ont probablement été influencées par l’expression anglaise for tax purposes. Voici des équivalents recommandés :

reçu officiel
reçu fiscal
reçu pour déclaration fiscale
reçu pour usage fiscal
reçu à des fins fiscales

année d’imposition, année fiscale

Le mot fisc désigne l’ensemble des administrations responsables du calcul et de la perception des impôts. L’adjectif fiscal signifie « relatif au fisc ou à l’impôt ». La période de référence utilisée par le fisc pour déterminer l’impôt dû par un contribuable est normalement appelée année d’imposition.

Dans ce sens d’« année d’imposition », il n’est pas incorrect de parler d’année fiscale, puisqu’il s’agit bien d’une période relative au fisc et à l’impôt, mais il faut par ailleurs veiller à ne pas traduire machinalement la locution anglaise fiscal year par année fiscale. En effet, en anglais, l’adjectif fiscal est d’un sens beaucoup plus générique que son homographe français et ne se traduit souvent pas par fiscal, mais plutôt, selon le contexte, par budgétaire, comptable ou financier. En particulier, il faut se méfier de la locution anglaise fiscal year, qui est un faux ami : elle ne désigne pas une unité de temps établie par le fisc (ce qui se dit plutôt taxation year en anglais), mais une unité de temps utilisée par les entreprises et les administrations pour leur comptabilité, indépendamment du fisc, et qui ne correspond pas nécessairement à l’année civile (qui va du 1er janvier au 31 décembre). Dans ce sens, en français, on parle d’exercice (financier), d’exercice comptable ou, dans le cas d’un organisme du secteur public, d’année budgétaire ou d’année financière.

Au Québec, l’année d’imposition (taxation year) coïncide avec l’année civile (calendar year) pour les personnes physiques et avec l’exercice financier (fiscal year) pour les personnes morales.

paradis fiscal, abri fiscal

Le terme paradis fiscal est l’expression française consacrée pour désigner un pays ou un territoire où la fiscalité, légère ou peu règlementée, attire les capitaux étrangers. En anglais, cette notion est désignée par le terme tax haven, c’est-à-dire littéralement « refuge fiscal » ou « havre fiscal ». On peut se demander si la traduction française paradis fiscal ne provient pas à l’origine d’une erreur de compréhension du mot haven, confondu avec son paronyme heaven (« ciel, paradis »).

On parle aussi parfois en ce sens d’abri fiscal, mais cette expression désigne habituellement un moyen utilisé pour réduire ou éliminer l’impôt à payer. Au Québec, le terme abri fiscal (en anglais tax shelter) désigne en particulier un placement donnant droit à certains avantages fiscaux.

impôt et taxe

On confond parfois les termes impôt et taxe. Cela peut s’expliquer d’une part par le fait que ces deux termes se recoupent partiellement et d’autre part par l’influence de l’anglais, qui ne connait que le mot tax pour désigner les deux notions.

L’impôt et la taxe sont tous deux une contribution pécuniaire perçue à titre définitif par les pouvoirs publics (État ou collectivité locale).

L’impôt est une contribution périodique exigée d’une personne physique ou morale (appelée contribuable) en fonction de ses revenus, de la valeur de sa propriété, etc., à partir d’une liste nominative dite rôle d’impôt ou rôle d’imposition. La forme la plus connue est sans doute l’impôt sur le revenu. Lorsqu’il s’agit des revenus d’une entreprise, on parle en Europe d’impôt sur les bénéfices.

La taxe est une contribution anonyme exigée au moment de la prestation d’un service particulier ou de l’achat d’un produit. Deux exemples de taxe perçue au moment de l’achat d’un bien de consommation sont, en France et en Belgique, la taxe sur la valeur ajoutée, ou TVA, et, au Canada, la taxe sur les produits et services, ou TPS.

En anglais, on emploie le terme tax ou le pluriel taxes pour parler aussi bien des taxes que de l’impôt, notamment de l’impôt sur le revenu (income tax). En français, on évitera de parler de taxe ou de taxes lorsqu’il est plutôt question d’impôt. Par exemple :

*Les taxes ont encore augmenté cette année.
L’impôt a encore augmenté cette année.

Il faut peut-être aussi voir une influence de l’anglais dans le fait qu’au Québec, le mot impôt est plus fréquemment employé au pluriel qu’en Europe, même quand la pluralité n’est pas claire, par exemple quand on parle du « temps des impôts ».

taxe et syntaxe

Dans les locutions construites avec taxe, on hésite parfois sur la préposition à utiliser. En principe, sur le modèle des locutions avec impôt, comme impôt SUR le revenu ou impôt SUR les bénéfices, la préposition sur serait attendue, par exemple taxe sur la vente ou taxe sur la valeur ajoutée. Mais on rencontre aussi la préposition de (taxe de vente), voire à (taxe à la valeur ajoutée). On justifie parfois l’emploi de la préposition de comme résultant d’une ellipse. Ainsi taxe de luxe serait une tournure elliptique pour taxe (sur les articles) de luxe. De même, taxe de séjour viendrait de taxe (sur les frais) de séjour. La préposition de est par ailleurs légitime quand elle marque un rapport de cause, de but, de destination : par exemple, une taxe d’enlèvement des ordures ménagères est destinée à financer ce service administratif, et non pas à le taxer.

*payeur de taxes

Le terme anglais taxpayer est souvent calqué en français québécois sous la forme payeur de taxes, alors que c’est le terme contribuable qui convient :

*Il accuse le gouvernement de saigner les payeurs de taxes.
Il accuse le gouvernement de saigner les contribuables.

Encore des taxes

Voici pour terminer quelques observations sur des locutions construites avec le nom taxe.

taxe foncière, taxe locale, taxe municipale

Un impôt foncier ou impôt immobilier (ou, en Belgique, contribution immobilière) est un impôt perçu chez un propriétaire de bien immobilier à partir d’un rôle d’imposition et déterminé en fonction de la valeur de ce bien. (Au sens strict, l’adjectif foncier ne devrait s’appliquer qu’aux terrains, mais, en pratique, on l’étend aussi aux immeubles.) Comme cet impôt est souvent perçu par une collectivité locale, on parle aussi d’impôts locaux (en Europe) ou d’impôt municipal (au Québec). Même s’il s’agit bien d’un impôt, le terme impôt foncier, utilisé notamment par le ministère du Revenu du Québec, est concurrencé par taxe foncière, qui figure dans des textes de lois municipales.

De plus, comme ces impôts fonciers sont parfois associés à de véritables taxes (par exemple sur des services tels que la distribution de l’eau ou l’enlèvement des ordures ménagères), ils sont souvent appelés taxes locales (en Europe) ou taxes municipales (au Québec). Bref, l’usage est flottant en ce « domaine » foncier.

*compte de taxes

Au Québec, la facture fixant le montant de l’impôt foncier est souvent appelée compte de taxes. Le terme avis d’imposition est plus juste. L’expression est aussi employée comme synonyme d’impôt foncier.

*Je viens de recevoir mon compte de taxes.
Je viens de recevoir mon avis d’imposition.
*Le compte de taxes est élevé dans cette ville.
L’impôt foncier est élevé dans cette ville.

*taxe de bienvenue

Est-ce encore une influence de l’anglais (welcome tax), une réminiscence de l’ancien droit de bienvenue ou plutôt une référence au ministre Jean Bienvenue, instigateur de cette taxe québécoise en 1976 ? Toujours est-il que l’expression taxe de bienvenue est employée familièrement au Québec pour désigner les impopulaires droits d’enregistrement qui sont perçus par les municipalités au moment de la transmission de propriétés immobilières situées sur leur territoire. En français standard, les équivalents sont :

droit(s) de mutation immobilière
droit(s) de mutation

*taxe damusement

La taxe d’amusement n’est pas destinée à amuser : elle est plutôt un vilain calque de l’anglais, langue où, dans le domaine financier, amusement a le sens de « spectacles ». Voici des équivalents corrects :

taxe sur les spectacles
taxe sur les loisirs et spectacles
taxe sur les divertissements

Alors, toutes taxes « comprises » ?


  1. Rendons à César ce qui appartient à César et précisons que Franklin, dans cet aphorisme extrait d’une lettre écrite en 1789 à Jean-Baptiste Le Roy, ne faisait que reprendre une idée exprimée sous une forme moins mémorable par Daniel Defoe, qui, dans son Histoire du Diable publiée en 1726, parlait des « choses aussi certaines que la mort et les impôts ». Ajoutons que le proverbe d’origine biblique « rendez à César ce qui est à César, et à Dieu ce qui est à Dieu » est lui-même doublement « fiscal » puisqu’il fait allusion à l’impôt dû par les Juifs à Rome et qu’il figure notamment dans l’évangile attribué à Matthieu, qui était collecteur d’impôts de son état (et de son État). On n’en sort pas ! 

Cet article a été concocté par
les linguistes d’Antidote

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