Histoires de mots - 2 juillet 2018 - 2 min

Pour y voir plus clair

Continuons notre lecture du tableau périodique, entamée dans l’histoire de mots précédente, pour traiter du quatrième élément le plus léger, le béryllium. Étonnamment, le nom béryllium s’apparente à deux noms qui désignent des lunettes. Le premier, bésicles, n’est plus aujourd’hui utilisé que par plaisanterie, tandis que le second, barniques, appartient à la langue familière québécoise. Pour y voir plus clair, nous vous recommandons d’ajuster vos bésicles (ou vos barniques…) pour scruter les liens surprenants qui unissent ces mots.

béryllium

En 1798, Louis-Nicolas Vauquelin, le découvreur de la nicotine, identifia l’oxyde de béryllium. Il appela cette substance glucine à cause de son gout sucré. Plus tard, le chimiste Martin Heinrich Klaproth l’appela plutôt terra beryllina, étant donné que ce nouveau métal était présent dans le béryl, un cristal d’aspect vitreux et mat.

Le béryllium fut isolé en 1828 de façon indépendante par Antoine Bussy et Friedrich Wöhler. Wöhler proposa dans les années 1830 le nom de béryllium, formé par l’ajout du suffixe -ium ‘élément chimique’ à béryl (du latin beryllus, du grec bērullos). Jusque dans les années 1950, béryllium a fait concurrence au terme plus ancien glucinium (de glucine), qui fut par la suite écarté.

bésicles

Le nom bésicles (ou sa variante besicles), apparu en moyen français sous la forme singulière besicle, est une variante du nom original bericle ‘loupe de béryl’, lui-même issu du mot beril (aujourd’hui béryl), conservé dans l’allemand Brille ‘lunettes’. L’introduction du c dans bericle résulte de la corruption de beril par escarbocle (aujourd’hui escarboucle), ces deux mots désignant des pierres translucides.

Au XVe siècle, les r avaient tendance à se transformer en s. Le phénomène s’est interrompu, mais quelques rares formes, dont la variante bésicles et le mot chaise, gardent le souvenir de ce changement phonétique. Remarquons que bericle possédait une autre variante, vericle (ou véricle), qui s’explique par une attraction du mot verre.

L’usage du singulier de bésicles précède d’un siècle et demi celui du pluriel (1555) ; le genre est flottant au début. Cédant à la pression de lunettes, dont il avait acquis le sens, il disparait du niveau de langue neutre en français classique pour se cantonner à un usage plaisant. Quant à béricle, n’ayant pas subi de changement sémantique, il est sorti de l’usage lorsque les loupes de béryl sont disparues.

barniques

Le nom québécois barniques vient d’une langue d’oïl indéterminée, mais dont on retrouve un correspondant en berrichon : berniques. Le mot est lié à l’ancien français bericle ‘loupe de béryl’ (qui a donné aussi bésicles), lui-même issu de béryl, désignant une pierre précieuse qui servait autrefois à la confection de verres optiques. Cependant, malgré une certaine similitude consonantique, son étymologie est distincte de binocle (du latin bi ‘par deux et oculus ‘œil’).

L’apparition d’un n peut supposer l’influence phonétique d’un autre mot sans lien sémantique, mais phonétiquement proche, comme bernicle, désignant une sorte d’instrument de torture, barnik, mot picard désignant un jeu de cartes ou, encore mieux, son synonyme binocle. Toutefois, il est possible aussi que l’intercalation du n s’inscrive dans un phénomène plus général de renforcement du r intervocalique dans les langues d’oïl ayant alimenté le québécois, qui aurait produit aussi garnoter (de garrot). Par ailleurs, il existe en anglais britannique dialectal un barnacles ‘lunettes’ (sans rapport avec son homonyme standard signifiant ‘anatife, sorte de crustacé se fixant aux objets flottants’), issu d’un mot vraisemblablement normand, très proche de celui ayant engendré le mot québécois. On note en outre l’ouverture du e en a devant un  suivi d’une consonne (barnacles), phénomène connu également en québécois (barniques).

La graphie barniques, au lieu de barnicles, qui serait plus conforme à l’étymologie, procède d’un autre phénomène typique du québécois et de certaines langues d’oïl, soit la simplification des groupes de consonnes finales (le mot boucle étant par exemple simplifié en bouque).

Cet article a été concocté par
les linguistes d’Antidote

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