Histoires de mots - 2 avril 2012 - 3 min

Un bouquet de fleurs

Avec le printemps qui répand ses doux effluves et Pâques qui approche à grands pas, nous croyons le moment bien choisi pour vous offrir un bouquet de fleurs exotiques qui nous fera voyager autour de la Méditerranée et ailleurs. En humant leur étymologie, on constatera que leur intérêt linguistique rivalise avec leur parfum ou leur beauté. Voici donc l’histoire du lis, du narcisse et du nénufar. 

lis, lys

Le mot lis est la forme plurielle de l’ancien français lil, disparu très tôt. Cette dernière forme descend directement du latin lilium, qui ne proviendrait pas de son correspondant grec leirion, mais probablement d’un radical lili- d’une langue antique méditerranéenne. Le mot grec remonterait, de son côté, au même mot méditerranéen, par l’intermédiaire de l’égyptien, puis du copte (hleri).

La variante graphique lys, apparue en moyen français, ne note aucune différence phonétique. Il était fréquent alors de remplacer le i par un y pour des raisons de lisibilité ; par exemple, oie s’écrivait fréquemment oye. Curieusement, après avoir connu un déclin en français classique, la graphie lys est revenue en force à partir de la fin du XIXe siècle, au point où la graphie lis parait aujourd’hui quelque peu exotique. C’est pourtant la graphie en i qui est recommandée par les rectifications orthographiques de 1990, et donc la forme la plus moderne.

Soit dit en passant, la fleur de lys, symbole de la royauté française et du Québec, ressemble beaucoup plus, sur le plan végétal, à une fleur d’iris jaune qu’à une fleur de lys. Cette bizarrerie incite à croire que le mot lys pourrait représenter ici autre chose que la fleur. Pourrait-il s’agir d’une fleur de Lys, c’est-à-dire d’une fleur poussant sur les rives de la Lys, rivière coulant du nord de la France jusqu’en Flandre, ou bien d’une fleur de Louis, prénom fréquent dans la royauté française ? Les historiens se perdent en conjectures…

narcisse

Narcisse est un personnage vaniteux issu de la mythologie grecque. Le mythe original raconte que, conscient de sa beauté, il dédaignait les avances de son admirateur Ameinias au point qu’il lui fournit l’épée pour mettre un terme à son désespoir. Narcisse se prit à son propre jeu, car, un jour, apercevant son propre reflet dans l’eau d’une source, il le trouva si beau qu’il en tomba amoureux. Désespéré à son tour d’être incapable de toucher l’être aimé, il fit également usage de l’épée pour abréger son désespoir. On trouva à la place de son corps des fleurs auxquelles on aurait donné son nom. La version la plus connue du mythe, relatée par le poète romain Ovide dans le Livre III des Métamorphoses, comporte quelques divergences par rapport au récit original : entre autres, l’admirateur est remplacé par une admiratrice, la nymphe Écho (qui avait le vilain défaut de répéter les derniers mots qu’on lui adressait…), et Narcisse se laisse mourir au lieu de se suicider.

En latin classique, le nom propre Narcissus, désignant le personnage, et le nom commun narcissus, désignant la fleur, ne sont que de simples adaptations du grec ancien Narkissos et narkissos. Alors que le nom commun narkissos semble, conformément à la légende, issu du nom propre Narkissos, celui-ci ne serait pas un mot indigène, son suffixe en -issos suggérant une langue égéenne préhellénique. L’association suggérée avec le nom grec narkê ‘sommeil’, lié à narcotique, relève de l’étymologie populaire.

En français, le mot narcisse apparait d’abord au XIVe siècle dans l’expression narciz ynde, calque de l’ancienne appellation latine narcissus indicus ‘narcisse indien’ désignant une espèce de fleur. Mais ce n’est qu’au XVIe siècle que se généralise le nom commun dans deux emplois. L’un est l’emprunt au nom communnarcissus désignant la fleur et le second, une antonomase du nom propre Narcissus s’appliquant à un homme amoureux de lui-même ; ce dernier emploi est aujourd’hui littéraire. Cependant, les mots dérivés narcissisme et narcissique, qui réfèrent aussi à l’amour de soi, appartiennent à la langue courante. Quant au nom propre, il est connu depuis le Moyen Âge (du moins sous sa forme latine), comme en fait foi le lai de Narcisse (XIIe siècle), inspiré du récit d’Ovide.

nénufar, nénuphar

Le mot nénufar a été emprunté au latin médiéval nenuphar au XIIIe siècle. L’ancien français, qui utilisait une écriture plus ou moins phonétique, écrivait ce mot avec un f ; la graphie ph est apparue en moyen français pour se rapprocher de la graphie latine. C’est cette dernière graphie qui a prévalu depuis lors. La graphie en f a toutefois toujours été privilégiée par le dictionnaire de l’Académie française jusqu’à son édition de 1935 et est, de plus, recommandée par les rectifications orthographiques de 1990.

Le latin médiéval nenuphar provient de l’arabe ninufar, dont la transcription ne comporte pas de ph. Le ph aurait été introduit par erreur : les lettrés de l’époque auraient pris ninufar pour un mot grec, comme l’est nymphaea, son synonyme. Une erreur compréhensible, puisque la majorité des mots étrangers qui ont pénétré en latin provenaient du grec, dont le son [f] était transcrit par la graphie ph (qui rappelait l’ancienne prononciation en [p] aspiré d’avant l’ère chrétienne).

Le mot nénufar est un globetrotteur : l’arabe ninufar est une altération de nilufar, qui avait été emprunté du persan. Ce dernier l’avait emprunté au pehlvi nilopal, lequel provient du sanscrit nilautpala ‘lotus bleu’, décomposable en nilah ‘bleu foncé’ et utpalam ‘fleur de lotus’. N’y voyez cependant aucune allusion au Lotus bleu relatant les aventures en Chine du journaliste globetrotteur Tintin...


Le contenu de nos Histoires de mots est tiré des notices étymologiques du dictionnaire historique d’Antidote 8.

Cet article a été concocté par
les linguistes d’Antidote

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