Points de langue - 1 octobre 2018 - 4 min

Adverbes employés adjectivement

Un adverbe est un mot invariable qui se joint à un verbe, à un adjectif ou à un autre adverbe pour en modifier ou en préciser le sens. Certains mots habituellement utilisés comme adverbes sont par ailleurs occasionnellement employés pour modifier des noms qu’ils suivent ou qu’ils précèdent, à la façon des adjectifs utilisés dans la fonction d’épithète. Ces emplois peuvent poser des difficultés d’écriture. Notamment, dans ces contextes, l’adverbe s’accorde-t-il en genre et en nombre avec le nom qu’il modifie, comme le ferait un adjectif ?

Voici les plus fréquents de ces cas.

bien

Comme adverbe, le mot bien est très courant et prend de nombreuses valeurs. Il signifie notamment « d’une manière agréable, convenable, excellente » :

Elle dessine bien.
Vous avez bien travaillé.

Il est parfois employé après un nom, revêtant alors le sens adjectival de « respectable », « qui a de bonnes qualités morales » :

Elle ne fréquente que des gens bien.
Je veux rencontrer une fille bien.

On voit que, même dans cette fonction d’épithète qui lui donne un aspect d’adjectif, bien reste invariable : il ne s’accorde ni en nombre ni en genre avec le nom qu’il modifie. On n’écrira donc pas :

*Elle ne fréquente que des gens biens.

Autre exemple d’un accord malvenu, plus frappant à l’œil et à l’oreille :

*Je veux rencontrer des filles biennes.

debout

L’adverbe debout signifie « en étant sur ses pieds » ou « verticalement » :

Elle travaille debout toute la journée.
Il faut ranger les livres debout sur l’étagère.

On l’emploie quelquefois après un nom en lui donnant alors le sens adjectival de « qui est sur ses pieds » ou « vertical, dressé ». Le mot reste invariable dans cet emploi :

Cet exercice se pratique en station debout.
Les passagers debout s’accrochaient à la barre.
Il ne reste que deux maisons debout.
Il ne reste que deux places debout pour le concert.

Dans le dernier exemple, deux places debout peut se comprendre comme une ellipse pour deux places en position debout.

ainsi

Le mot ainsi est un adverbe signifiant habituellement « de cette manière » :

Il faut procéder ainsi.
Il ne fallait pas agir ainsi.

En français de Belgique, le mot est parfois familièrement employé dans la fonction d’épithète, comme un adjectif signifiant « qui est comme ça », « qui est de ce genre-là ». Il reste invariable.

Une personne ainsi est vraiment à plaindre.
Des gens ainsi ne courent pas les rues.

presque, quasi, non

L’adverbe presque signifie habituellement « à peu près » :

J’ai presque fini.
Elle est presque aussi grande que moi.

On le trouve parfois utilisé devant un nom qu’il modifie avec une valeur adjectivale :

Nous avons consommé la presque totalité du carburant.
La résolution a été votée à la presque unanimité.

Le mot est laissé invariable devant un nom pluriel :

Elles sont déjà des presque adultes.

Cette construction, presque + nom, s’est d’ailleurs lexicalisée dans le mot presqu’ile, qui s’est d’abord écrit presque isle au xvie siècle.

L’adverbe quasi, d’un emploi plus littéraire ou régional que son synonyme presque, est assez souvent placé de la même façon devant un nom, à la différence que les deux éléments sont alors réunis par un trait d’union, l’ensemble se comportant comme un nom composé :

Sa quasi-victoire ne l’a pas satisfait.

L’élément quasi y est invariable :

Il ne se contentera pas de quasi-victoires.

La même composition avec trait d’union devant un nom est très productive avec l’adverbe non, lui aussi invariable :

Sa non-collaboration est frustrante.
Il nous a servi des explications évasives et des non-réponses.

Les plus fréquentes de ces formations avec quasi- et non- sont consignées dans les dictionnaires comme noms composés, certains prenant un sens spécialisé ou technique :

Nous avons consommé la quasi-totalité du carburant.
Il a réduit ses avoirs en monnaie et en quasi-monnaie.
Elle étudie les quasi-cristaux.

C’est un modéré qui prêche la non-violence.
Cette manifestation tant attendue fut un non-évènement.
On lui reproche des non-paiements de loyer répétés.

vite

Le mot vite est généralement employé comme adverbe, synonyme de « rapidement » :

Elle court vite.
Tout va si vite de nos jours.
Il faut agir vite.

On le rencontre parfois employé comme adjectif synonyme de « rapide », surtout dans le langage sportif :

Les quatre coureuses les plus vites passeront à la finale.

Cet emploi adjectival est relativement fréquent en français québécois familier, notamment dans certaines expressions :

Il n’est pas très vite. (= Il n’a pas l’esprit vif.)
Ce sont des gens vites en affaires. (= Ce sont des gens qui vont vite en besogne.)
Elle est vite sur ses patins. (= Elle réagit rapidement.)

Comme le montrent certains de ces exemples, et contrairement aux autres cas vus jusqu’ici, le mot prend bien la marque du pluriel (vites) dans ses emplois adjectivaux.

Ceux-ci constituent en fait un retour à la valeur primitive de vite, qui, en français ancien et classique, était en effet un adjectif, ayant pour adverbe correspondant le dérivé régulier vitement. C’est au xvie siècle que vite a commencé à être aussi employé comme adverbe, tant et si bien qu’au début du xviiie siècle, l’adverbe vitement et l’emploi de vite comme adjectif ont progressivement disparu de l’usage courant. C’est au début du siècle suivant que vite adjectif fait un retour essentiellement limité au langage sportif. Quant à vitement, il n’est plus guère employé que pour sa connotation archaïque.

On voit donc que vite, avant de devenir un « adverbe employé adjectivement », avait connu dans le passé le traitement inverse d’« adjectif employé adverbialement ».

Ce phénomène contraire, où des adjectifs sont à l’occasion employés adverbialement, fera l’objet d’une future chronique.


Cet article a été concocté par
les linguistes d’Antidote

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